Luciano Rispoli psicoterapeuta: La psychothérapie Fonctionnelle.

in “Diagonales. Anatomie d’une intimité” N. 1 Mars 1995.


Les expériences de base du soi

Le moment de prendre le patient dans ses bras

Parfois une psychothérapie avance bien, puis tout à coup stagne sans raison apparente. Le thérapeute sent bien qu’on n’avance plus, mais ne trouve pas d’explications. Quelles sont les hypothèses à faire? Ces moments se produisent après une première phase qui a permis d’aborder des dimensions telles que le faux Soi ou les caractéristiques caractérielles du patient. Le thérapeute est alors impliqué dans un travail intense de régression vers des zones profondes. Il est en train de détendre certaines des rigidités les plus manifestes (au plan fonctionnel) du patient. Diverses parties du Soi, auparavant dissociées, se rapprochent. Dans des moments cruciaux comme celui-ci, il est impossible d’avancer sans que la relation thérapeutique se transforme de faon appropriée. Il s’agit là d’un véritable saut qualitatif, qui marque le passage à une phase suivante. Jusque-là, les connaissances techniques du thérapeute suffisaient. Maintenant il faut autre chose. Le cas doit maintenant être «pris en main »… au sens métaphorique et littéral de l’expression. Nous sommes en effet arrivés à une phase où une personne se libère de ses dernières inhibitions, où elle sent tous ses besoins, et dépend complètement du thérapeute. La confiance exigée à ce moment dépasse de loin ce que cette personne aurait pu imaginer auparavant. A un moment pareil, le thérapeute doit pouvoir prendre une personne dans ses bras, où il la garde, la calme et la nourrit. Alors, de technique, la relation devient fondamentalement affective.

Valentina

Agée de 27 ans, Valentina a de graves difficultés dans ses études et dans ses relations avec les autres. Elle est très agitée, et s’enferme dans des pensées qui tourbillonnent en elle aussi vite que les phrases qu’elle débite par rafales. Elle a vécu une relation difficile avec sa mère, très contrastée. Une relation à certains égards semblable s’est établie avec son thérapeute. Valentina ne veut pas devoir compter sur sa thérapie, et refuse de s’y laisser aller, car elle la juge puérile. Mais en même temps ses attitudes font penser à une fillette qui fait des caprices ». Elle ne s’abandonne jamais complètement car elle st effrayée par l’idée de retomber dans une situation de dépendance, vécue pendant son enfance comme quelque chose d’extrèmement angoissant. Malgré une inquiétude et une vigilance constante, elle ne peut pas s’empêcher de recréer sans esse des relations de dépendance – surtout inconscientes et inadaptées – avec les ersonnes les moins aptes à l’aider (comme sa mère). En constatant cela elle ‘énerve et s’agite de plus en plus. Elle est donc comme « emprisonnée » dans d’un cercle vicieux qui s’auto-alimente. Ce cercle vicieux intensifie la rage, la rage acroit la peur, et la peur l’empèche d’étudier, de réaliser des choses positives… bref, de vivre. En mêlant sans cesse le besoin de relations confiantes avec d’angoissantes dépendances enfantines, Valentina se retrouve dans un état de faiblesse et ‘impuissance qui lui font craindre tous contacts avec autrui. Elle se retient et se contrôle de cette faon depuis longtemps. Abordant toute relation avec cet esprit, chaque tentative de faire confiance aboutit inévitablement à des échecs pénibles, qui renforcent sa décision intérieure de ne plus jamais faire confiance… sans que cette décision influence vraiment son besoin inconscient de trouver quelqu’un su qui elle peut compter, à un niveau relativement enfantin et immature d’elle. Et voilà que le cycle recommence. La rage de Valentina se manifeste quand elle refuse un appui, et la peur devient une incapacité à le prendre, sinon sous des formes incorrectes qui alimentent à nouveau soit le refus soit la peur.
On ne peut pas laisser Valentina à la merci de ce cercle vicieux. Jusque là, la thérapie a été efficace. Elle a mis en évidence les différentes phases de ce cycle, en clarifiant le sens des émotions négatives de la patiente et à quoi elles sont liées. En un certain sens, la thérapie a intensifié les différentes phases du mécanisme que nous venons de décrire; elles sont devenues clairement perceptibles. La lucidité, seule, n’a pas les moyens de transformer ce cycle. Il nous faut intervenir pour l’interrompre à plusieurs endroits. Pour y arriver, nous devons non seulement aider la rage et la peur à circuler librement, mais aussi faire en sorte que Valentina puisse se laisser aller à un moment de confiance complète envers le thérapeute. Il faut bien préparer ce moment. Il est décisif si l’on veut pouvoir transformer le cercle vicieux en spirale capable d’évoluer dans le temps. Le travail que nous avons déjà effectué a préparé Valentina à affronter une grande peur comme celleci. En relâchant des petites tensions, en vivant des petits relâchements, elle a déjà surmonté plusieurs petites peurs que nous avons soigneusement graduées. Elle a chaque fois pu remarquer que ses petites peurs ne débouchaient pas sur des dangers réels. Maintenant elle sait qu’affronter ses peurs, même les plus grandes, n’est pas vraiment dangereux. Les techniques qui permettent d’aborder ce type de problèmes sont nombreuses. Voici quelques exemples:

  1. La personne est allongée sur le dos. Elle soulève une partie du corps: la tête, ou les épaules, ou le bassin, ou les jambes. Cette partie du corps est maintenue à quelques centimètres du sol aussi longtemps que possible. La position est tenue aussi longtemps que possible… bien plus longtemps que les premiers moments de fatigue. Puis, après avoir senti venir des «tremblements », quand la personne atteint son seuil réel de fatigue, on lui demande de laisser tomber – sous forme de petits relâchements complets, de petits écroulements – la partie du corps maintenue en tension; et de la laisser bouger sous forme de petite explosions. En demandant à la personne d’ètre penchée en avant, on peut déclencher des tremblements dans le dos. Nous utilisons cette technique avec trois buts en tète

1) Les tremblements provoquent un rapide changement du tonus de base des muscles (d’hypertonique à hypotonique, et vice versa). Certaines tensions chroniques peuvent alors retrouver un dynamisme.

2) Le sujet apprend à distinguer nettement entre «tenir» une position et « 1.cher» une position. L’état habituel de tension des muscles devient alors clairement perceptible. Le sujet peut alors sentir que ses tensions habituelles sont souvent produites par une tentative chronique de se relâcher et de se mobiliser en même temps.

3) Le sujet peut alors explorer où le mènent des petits spasmes de mouvements incontrôlés, et des petits écroulements qui l’aideront à relâcher son contrôle chronique sur la partie du corps abordée lors de l’exercice.

  1. Toujours allongé sur le matelas, le sujet bouge la tête de droite à gauche (un peu comme quand on fait non de la tête); d’abord lentement, puis plus rapidement.
  2. Exécuter des mouvements rapides avec le bassin en le tournant à droite et à gauche, jusqu’à ce que le mouvement continue de lui-même, sans être contròlé par le conscient du sujet.

D.« Ruer» (taper avec les pieds sur le matelas) rapidement, de nouveau jusqu’à ce que le mouvement se fasse de lui-même.

  1. Sursauter plusieurs fois de suite sur le matelas.

La qualité de la présence du thérapeute joue un ròle central pour aider le paient à intégrer ce type d’interventions dans le cadre général du traitement: avec in toucher contenant et rassurant, un massage qui accompagne vers la régression, des paroles émotionnellement sensibles. Tout en travaillant avec la peur de Valentina, le thérapeute travaille aussi avec sa rage. Il utilise pour cela d’autres exercices qui aident Valentina à exprimer ouvertement sa rage de faon manifeste face au thérapeute. Elle peut ainsi sentir bouger en elle des sentiments et Ies parties du corps immobilisées depuis longtemps. Peu à peu le thérapeute peut s’approcher de Valentina, et pénétrer dans la bulle qui marque le territoire de son intimité. Il prépare ainsi la venue de ce moment critique dans lequel le patient, dans une atmosphère généralement «dramatique », peut s’ouvrir définitivement, en se laissant submerger par le besoin d’être pris et de se sentir tenu. Le thérapeute doit amener ce moment, cette explosion intense, qui permet un approchement réel entre lui et Valentina. Les formes que ce moment peut prendre sont multiples: sanglots, explosion de rage, crise de peur. Si les étapes précédentes ont été menées avec suffisamment de respect, si la personne a pu graduellement se livrer, entrer de faon plus impétueuse dans sa profondeur provoquera d’intenses émotions certes, mais pas dévastatrices. Au contraire, une telle expérience est même rassurante. Maintenant vient le moment où les distances précédentes peuvent être modifiées, où le thérapeute peut prendre son patient sans crainte dans ses bras, le tenir et lui parler comme s’il s’agissait d’un petit enfant… certain que la régression a désormais atteint des niveaux tels que l’autre peut s’ouvrir complètement à l’ancien besoin d’étre tenu et nourri.

La continuité du Soi:

Pouvoir garder à l‘intérieur de soi les expériences positives

Une des questions les plus fréquemment posée par nos patients en début de thérapie, est de savoir comment des fonctions qui sont endommagées depuis 20, 30, 40 ans peuvent être réparées en quelques centaines d’heures. Ne faudrait-il pas autant de temps pour désapprendre ce que l’on mal appris, et pour réapprendre enfin convenablement? En effet, depuis plusieurs décennies le patient s’est figé dans un répertoire postural, sa respiration s’est raccourcie d’une manière qui lui est particulière, ses souvenirs d’enfance se sont transformés… et pendant une séance de thérapie nous ne pouvons pas consacrer plus d’un quart d’heure à chacun de ces éléments. Il y a là de quoi nous décourager. Pour un quart d’heure consacré à pratiquer une respiration diaphragmatique correcte (en admettant que le thérapeute ait été capable de la rétablir), l’organisme nous oppose plus de dix mille minutes de respiration incorrecte pendant le reste de la semaine. Vue ainsi, notre tâche peut sembler aussi désespérée que les travaux de Sisyphe. Heureusement, nous avons quelques moyens pour faire face à cette situation. Notre meilleur allié est le besoin qu’a le Soi de retrouver son intégrité. Cette alliance crée une dynamique qui continue entre les séances, pendant toute la thérapie. Au début de la thérapie, le Soi du patient est fragmenté. C’est au Soi du thérapeute de lutter pour l’intégrité de son protagoniste, jusqu’à ce que celui-ci puisse apprendre à trouver l’espoir qu’une plus grande intégrité est possible. Le Soi du patient prend alors graduellement le processus thérapeutique en charge. Peu à peu le patient sent les diverses parties de son Soi se coordonner, créer un mouvement intérieur qui le renforce. Le Soi retrouve des fonctions et des ressources qu’il ne savait pas avoir à sa disposition, et essaye de stabiliser les acquis. Les expériences positives vécues en psychothérapie renforcent la cohésion du Soi, dès que le patient peut vivre avec son thérapeute une relation durable et positive.

Se nourrir: Fausta

Fausta, 28 ans, infirmière, sera bientôt maman d’un fils. Elle est enceinte de trois mois, et sent toute l’importance de cet événement. Son comportement fait penser à une petite file, une petite file un peu contrariée. Même le ton de sa voix est enfantin, un peu tendre et un peu renfrogné. L’équipe dont elle fait partie a demandé un soutien thérapeutique. Pendant ce processus de groupe, sa fausse insouciance et ses plaisanteries continuelles cèdent le pas à une sensation de tristesse qu’elle ne masque plus. En retrouvant cette ancienne tristesse, elle se sent dépaysée: une sensation souvent niée de solitude, qui la prend même lorsqu’elle rentre en ville chez ses parents. Ce travail de groupe vise surtout à aider les participants à exprimer leurs peurs abandonniques. Le groupe se divise en couples, où un membre accompagne celui qui plonge dans son ressenti. Ce dernier centre son exploration sur la peur que l’autre ne s’occupe pas vraiment de lui, fuit, ne soit pas vraiment là, et ne l’aime pas. Pendant ce temps-là celui qui accompagne cherche à explorer sa Capacité de rassurer, de s’exprimer avec sensibilité et chaleur… et ceci malgré les peurs, les méfiances et les doutes du protagoniste. L’important étant que celui qui s’explore, malgré ses angoisses, puisse recevoir le message. C’est pendant un de ces exercices que Fausta permet à ses peurs d’émerger pas seulement des peurs anciennes, mais aussi des soucis actuels, comme la crainte que le père de son enfant ne veuille rien savoir de son fils et d’elle. C’est comme si Fausta avait encore de la difficulté à devenir mère sereinement (difficulté qu’elle incarne dans le rapport avec son compagnon). Trop «fillette », trop hantée par des peurs abandonniques et des peurs de mort, sa confiance est bloquée par des craintes qui de toute évidence s’enracinent dans sa toute petite enfance. Fausta comprend que l’enfant dans son ventre réveille son propre besoin d’avoir une famille plus rassurante que celle qu’elle avait connue. Elle sent le besoin de créer cette famille qu’elle aurait toujours aimée avoir. Mais elle réaliserait cette famille idéale pour son fils, pas pour elle-même. Il n’est pas certain que sa tentative de créer la famille de son besoin aura sur Fausta une action réparatrice et thérapeutique. D’où son chagrin, dans lequel le thérapeute observe de l’apitoiement mêlé à une forme de tendresse pour elle-même; mais il voit aussi monter l’ancienne peur de mourir, que Fausta réveille avec sa crainte de ne pas être soutenue pendant la grossesse, et par la crainte que son fils puisse mourir d’être insuffisamment accepté et désiré. Ce fils qui doit naître aura besoin d’être nourri (de nourriture, de chaleur, d’affection). Ceci exige un comportement adulte de la mère… ce que Fausta ne pourra avoir tant qu’elle sera autant «petite file ». D’où l’analyse du thérapeute: dans un premier temps il faut «nourrir» Fausta et aider son Soi à prendre un minimum de cohésion et à se renforcer. Ce n’est qu’ensuite qu’elle trouvera la force de s’occuper adéquatement d’autrui (son enfant et son ami). Et il n’y a qu’en thérapie qu’un adulte puisse reprendre contact avec ses besoins d’enfant, et à partir de là être nourri, puis se reconstruire plus solidement qu’avant. Nous pouvons alors, pendant quelques instants au moins, nous déresponsabiliser et faire confiance à l’autre. Seule la thérapie peut recréer cette situation particulière dans laquelle nous pouvons nous laisser aller, sans nous soucier de perdre l’affection de l’autre, sans nous soucier des problèmes que nous pouvons engendrer… bref en ayant l’impression que quoiqu’on fasse nous ne perdons pas l’affection et l’estime de l’autre. Pendant la thérapie, au moins au début, nous pouvons penser seulement à nous « nourrir ».  Fausta, au contraire, a cherché la nourriture dans le rapport avec son partenaire. Elle demande souvent à son ami, avec une voix de petite file, qu’il la chouchoute. Elle communique d’une faon trop obsessionnelle son besoin enfantin d’assurance continue. Dans un couple, de telles demandes sont acceptables quand elles s’expriment sous forme de jeux, avec légèreté. Mais ces demandes deviennent trop lourdes pour le partenaire quand Fausta donne l’impression que s’il ne répond pas à ses demandes, elle perdra confiance non seulement en lui, mais aussi dans la vie. Par contre, en thérapie, nous pouvons reprendre ces besoins, et souligner leur absolue nécessité pour l’enfant qu’était Fausta. Ensuite nous pouvons aider Fausta à recontacter le sentiment d’être nourrie, à partir de quoi elle pourra trouver la force de croître une seconde fois. Elle pourra alors vraiment éprouver la fierté d’engendrer, sans qu’une sensation poignante et indomptable de manque l’infantilise et l’empêche de puiser la force dont elle a besoin pour remplir dignement son ròle de mère.

Joie et contentement.

C’est la continuité des expériences positives (passées, actuelles, et futures), la capacité de les conserver en soi qui peut nous redonner pleinement un sentiment de contentement et de joie. Parfois, sans aucune raison évidente, nous nous sentons joyeux. Nous pouvons nous réveiller le matin avec le sourire, et affronter avec joie la journée. Ou bien tout à coup un sursaut intérieur nous ranime, nous procure un enthousiasme juvénile et enfantin, et nous enveloppe dans l’agréable sensation qu’il y a quelque chose de beau dans notre vie. Dans tous ces cas, il y a eu un événement qui nous a mis de bonne humeur: une  rêve, une sensation, quelque chose que nous avons vu ou écouté en passant, e pensée qui traverse le subconscient. Ce sont des perceptions ou des pensées qui nous rappellent, de faon subliminale, que dans notre vie nous avons effectivement vécu des choses qui peuvent nous réjouir et dont nous pouvons être fiers. Enfant, par exemple, nous avons éprouvé joie et fierté quand nous avons appris à monter sur une bicyclette, quand quelqu’un nous a donné un jouet que nous dérisions, lorsque notre mère faisait notre éloge, lorsqu’une fillette que nous aimions nous a fait des yeux doux ou nous a embrassés. Mais pourquoi se résigner à tendre du hasard ou d’une perception subliminale qu’ils daignent nous offrir de tels plaisirs? Nous pouvons devenir les auteurs de notre joie (comme quand nous ions enfants), en construisant les conditions qui créent les moments de bonheur que nous désirons.

Pouvoir « rester » :Anna Lisa 

Présentation

Depuis l’age de 6 mois, Anna Lisa souffre d’une crise d’allergie cutanée. Enfant on devait lui attacher les mains pour l’empêcher de se gratter. C’est lors ‘une de ces crises qu’elle vint me voir. Enfant, elle a eu les amygdalites et souffert d’adénoïdes. Ses premières règles sont venues à 12 ans. A 13 ans son allergie cutanée s’améliore. A 16 ans elle a une toxoplasmose. A 17 ans elle a une grave crise d’anémie, et doit en même temps être opérée e l’appendicite. Cette même année, la mère d’Ana Lisa meurt. Ana Lisa ne pleure pas la mort e sa mère. Elle subit par contre de violentes crises d’allergie cutanée. L’allergie aggrave considérablement, et se complique en s’associant à des crises d’asthme. elle était toujours son bilan de santé lorsqu’elle commença la thérapie à 22 ans. Depuis l’age de 18 ans elle souffre de colites. A 20 ans, ses règles sont devenues soit irrégulières soit très douloureuses. Entre 17 et 18 ans, une de ses premières relations amoureuses se termine de façon particulièrement douloureuse. Inquiète, elle se demande si les relations ntimenta1es ne sont pas toujours pénibles et destructrices. Elle souffre d’une anxiété qui la prend surtout à l’estomac, et provoque souvent beaucoup de sueur aux mains et aux pieds. Elle fréquente l’université, mais a de la difficulté à se concentrer… surtout lors des examens. Elle est souvent très agitée, incapable de s’arrêter, nerveuse. Ses parents ont engendré 4 enfants en 10 ans: deux filles et deux garons. Anna Lisa est la plus jeune. L’autre soeur est l’aînée: elle a donc 10 ans de plus qu’Anna Lisa. Anna Lisa a toujours été très attachée à sa grande soeur. Elle préfère les amis de sa soeur aux amis de son age. Elle a l’air d’avoir grandi trop rapidement, afin de « rattraper» sa soeur. Mais le ton de la voix, une certaine manière de se plaindre et de faire des caprices, sa manière de bouder et de taper du pied quand elle proteste, trahissent néanmoins la « petite file » dont elle n’a pu se débarrasser, et qui s’est cristallisée en elle. Plus récemment la grande soeur s’est mariée, et habite une autre ville. Anna Lisa ne peut plus compter autant qu’avant sur sa soeur. Elle reste seule à la maison, où elle s’occupe de son père. Depuis la mort de sa femme, il est devenu dépendant de ses enfants, et surtout de la plus jeune. Devenu très anxieux, il surveille sa file, veut savoir tous ce qu’elle fait, et ne veut pas qu’elle sorte le soir. Souvent il se fâche, il crie. Remplie de pitié pour lui, Anna Lisa n’arrive pas à lui tenir tête. Elle sent qu’il a besoin d’elle, et n’arrive pas à se fâcher. Pleine de « retenue », elle ne pleure pas et ne s’émeut pas facilement.

Processus psychothérapeutique

Première séances

La première fois qu’elle vient en thérapie des bandes lui entourent le cou et les poignets. Elle se gratte si fort à ces endroits que sa peau est couverte de plaies et de prurit. A d’autres endroits de son corps aussi, la peau est rouge, gercée, comme ridée, avec des croùtes. Elle n’est manifestement pas capable de se laisser aller, de se calmer, ou d’ètre ferme. Elle s’énerve sur les infections de sa peau, bien sur… mais de toute évidence son agitation a aussi d’autres causes. Un flot incessant de mouvements inquiets. Tout le monde l’inquiète. Au début de la thérapie, elle commence par me saluer, puis me demande si je vais bien. Souvent, pendant les séances, elle me demande si je vais bien, si je suis confortablement assis, si j’ai sommeil. Elle pane par rafales, en interrompant ses phrases, en les corrigeant, en se critiquant de ne pas s’exprimer avec suffisamment d’exactitude. «Quelle grande imbécillité je suis en train de dire !» est une expression fréquente. Dans ma pratique, les patients s’allongent sur un petit lit. Dès la première séance Anna Lisa éprouve une difficulté certaine à s’allonger dessus: sa tête ne ;e pose presque pas sur le matelas, et au moindre prétexte elle se redresse; ses ambes sont pliées et recroquevillées… Elle ne les allonge jamais complètement. Elle rationalise sans arrêt. Elle pense à quelque chose, ou cherche à expliquer e qui se passe. Elle utilise sans arrêt son intelligence, assez vive; et n’arrête jamais de penser, ou de bouger. Elle parait incapable d’ètre là tout simplement… le rester en place. Comme on pouvait le prévoir, sa respiration est retenue dans le haut de la poitrine. Lorsque j’appuie avec ma main sur le haut du thorax, sa respiration se modifie et émet les sifflements typiques de l’asthme(2). Dès la première séance le sifflement diminue considérablement; les mains suent encore beaucoup, et Anna Lisa se plaint de douleurs aux jambles. A un moment elle est au bord des larmes: a voix tremblote, elle sent un noeud dans la gorge, les traits de son visage sont tirés. Pendant les deux jours qui suivent cette séance, le prurit s’améliore ; mais elle sent beaucoup de sensations étranges à la tète. La séance suivante elle me raconte qu’elle n’a été allaitée que pendant trois mois, et qu’ensuite elle avait été nourrie au lait artificiel(3).

Amorce du processus

Progressivement les séances suivent le rituel suivant. D’abord elle s’allonge, puis elle me raconte à quel point le flux incessant de ses pensées l’énerve. Ensuite j’explore de faon systématique sa respiration.  Assis à coté du petit lit, je soutiens sa nuque avec ma main gauche, ferme et rassurante. Je masse les muscles profondément tendus, et essaye de modifier la tenue habituelle de son cou en l’encourageant à laisser aller sa tète en arrière. Avec ma main droite, j’aide la respiration en sollicitant le mouvement des còtes au bord du diaphragme, afin de faciliter l’expiration; ou j’appuie sur le diaphragme, sous la dernière còte, pour aider le muscle à se relâcher; ou je pousse doucement sur le thorax pour favoriser une expiration qui ne se cantonne plus dans le haut du thorax, mais descende plus bas… vers le ventre si possible. La modification respiratoire que j’obtiens est très légère. Mais cela suffit à diminuer sa « retenue» habituelle. Ses mains deviennent froides et sèches. Des frissons parcourent son corps… (avec une contraction dans la dernière phase du frisson). Anna Lisa se plaint de douleurs légères au cou et aux jambes. Elle pane de forts « courants » dans les mollets, d’une bouche pàteuse, d’une légère torpeur, d’une sensation d’évanouissement. On observe effectivement souvent au début d’un travail sur la respiration et les tensions musculaires, d’étranges sensations, une aggravation des troubles, des douleurs dans les parties les plus tendues du corps. D’une part parce qu’un ac croissement du volume respiratoire provoque généralement un abaìssement de seuils de sensibilité, ce qui permet au sujet de récupérer une partie de la sensibi lité qu’il a appris à étouffer ; d’autres part ce sont souvent les parties du corps qu ont le plus besoin d’aide qui réagissent en premier. Au-delà de ces perceptions de douleur ou de froid (le refroidissement de mains est typique), on peut déjà remarquer les premiers signes d’un rel.chemen du contròle, de la vigilance, et de l’agitation. Les frissons sont des mouvement incontròlables qui traversent tout le corps; les courants aux mollets sont liés des modifications biochimiques profondes, et à des changements du tonus muscu laire. À la troisième séance, Anna Lisa, très émue, pane de ses rapports avec sa mère et sa soeur. Sa soeur servait de «tampon» entre elle et la mère; et la mèr mourut avant qu’Anna Lisa puisse rétablir un vrai rapport avec elle. Anna Lisa se sentait profondément fautive d’avoir toujours préféré rester avec sa soeur pluttòt qu’avec sa mère. Ce n’est que bien plus tard, pendant son parcours thérapeutique, qu’Anna Lisa pourra rentrer en contact avec un profond et ancien sent ment d’affection pour sa mère. Un sentiment qu’elle avait enterré sous des couches de peur, de géne et de rage. Après cet éclat, je reprends mon travail sur son cou. Son corps se met à trembier et sursauter. Cette réaction dure assez longtemps. Elle ressent une douleur intense dans ses bras et ses jambes: ils ne supportent plus aucun contact… comme après le prurit. Cette réaction me donne l’impression que je suis sur la bonne voie, et que nous sommes en train de contacter les mécanismes qui ont engendré les symptòmes, particulièrement graves au niveau physiologique. Pour aider Anna Lisa à sentir sa force, j’utilise un autre type d’intervention je lui demande de pousser le thérapeute avec ses jambes d’abord, avec ses bras ensuite. Je lui demande de pousser en expirant et en faisant un son avec la voix. Pendant un bref moment elle est secouée par des sanglots. Les réactions de sursauts et de tremblements reviennent, et durent de nouveau longtemps. La séance suivante, je lui fais un long et profond massage du dos. Je remue Ies muscles lentement avec une pression assez forte. Après ce massage, Anna Lisa fond finalement en larmes. En massant toujours, j’essaye de détendre les muscles qui contròlent les spasmes respiratoires. Son corps est à nouveau pris de tremblements et de contractions qui descendent rapidement, par vagues, vers les pieds. A la cinquième séance, elle raconte qu’après de longues années sans rèves elle s’est remise à rèver. Nous explorons ceux qu’elle raconte, mais pas encore de faon approfondie. Elle sent monter en elle une peur de la violence, et une haine souterraine contre les figures masculines. Elle sent aussi monter en elle son idéalisme, son indignation contre les injustices… et notamment contre celles qu’elle a subies. Petite, elle avait renoncé à participer à un cours de danse classique où elle voulait absolument aller, parce qu’elle ne voulait pas alourdir les problèmes financiers de sa famille. Elle pense là surtout à sa mère. Anna Lisa a souvent l‘image de sa mère en train de compter l’argent dans son porte-monnaie et de pleurer. Anna Lisa ne voulait pas que sa famille souffre de ses problèmes. Elle se entait responsable de tout, et finissait par ne rien demander!  Elle sentait profondément les injustices mais ne protestait pas. Elle ne se sen;ait pas le droit de « prendre » quelque chose pour elle-même.

Le « maintenir » et e « lâcher »

A la cinquième séance, nous commençons à travailler sur le «maintenir» et le lâcher », un travail qui se poursuivra longtemps. Allongée sur le petit lit, Anne Lise lève le cou et la tête. Elle tient cette position jusqu’à la venue de forts tremblements des muscles… qui créent un changement rapide du tonus. J’encourage la patiente à tenir la position au-delà ce qui lui parait d’abord être sa limite, et lui demande de la «maintenir» à tout prix. Je l’encourage à tenir au-delà de ce qu’elle aurait cru possible, à s’exprimer, à crier et à respirer profondément. Puis, seulement quand elle ne peut vraiment plus tenir la position, je lui demande de tout «lâcher», de laisser la tête s’écrouler sur le matelas; et de sentir sa tête vraiment peser sur son support. Je fais ensuite le même exercice avec les épaules. J’appuie avec mes mains sur ses épaules, pendant qu’elle mobilise une force plus grande que celle que j’utilise afin de pouvoir néanmoins soulever ses épaules. Ceci afin de générer un tremblement aussi fort que possible… puis un écroulement aussi complet que possible. Je recommence ensuite le même exercice avec le bassin, et avec les jambes. A la huitième séance elle a toujours de grandes difficultés avec le «rester ». Presque chaque fois que je lui demande de «maintenir» une position, elle s’interrompt et reprend ses mouvements anxieux, alternant entre des phases d’hyper-contròle et des phases d’agitation. Les rêves continuent. Elle rêve parfois de sa thérapie, de la difficulté d’y pénétrer vraiment (elle rêve de retards, d’obstacles, etc.). Je lui fais maintenir sa tète soulevée au-delà du petit lit. Mes mains, sous sa tète, prêtes à l’accueillir et à la soutenir. Elle peut sentir plus d’une fois qu’elle commence à avoir la capacité de maintenir la position par elle-même, et qu’elle peut ensuite complètement abandonner sa tète dans mes mains. Après cette expérience, un éclat de rire nerveux se déchaîne, puis se transforme en pleurs désespérés: Anna Lisa appelle, peut-être pour la première fois avec un désir si fort, sa mère. Elle n’avait jamais vraiment pleuré ainsi à propos de sa mère. Je la prends dans mes bras, et elle continue à pleurer contre moi, comme une petite fille: longuement, doucement. C’est la première fois qu’Anna Lisa réussit à s’abandonner, sans s’interrompre, en se contentant de sentir qu’elle est tenue, qu’elle a un refuge, qu’elle est à l’abri, qu’elle peut laisser de còté ses pensées et fondre en larmes. Les étapes de sa thérapie seront encore nombreuses, et le travail qu’elle devra encore affronter sera intense. Toutefois ce moment restera gravé dans sa mémoire comme un tournant de sa vie, profond et tendre.

Changements

Ensuite les changements se succèdent plus rapidement. Moins en retrait, pour la première fois elle se met à chanter dans une chorale (4) [14]. Elie réussit brillamment un examen à i’université, et en est très contente [16]. Sur le plan physiologique et moteur, l’envie de se gratter fait place à une sensation de brùlure … assez courante quand on fait ce genre d’exercice [24]. Elie passe un autre examen assez sereinement [25]. Une autre étape commence après une séance intense de travail qui touche successivement aux thèmes suivants:

Maintenir et lâcher. Elle laisse aller ses mouvements d’agitation, les explore, et les laisse devenir de rapides ruades nerveuses, qui lui permettent d’exprimer son envie de repousser.

 Approfondissement de la respiration et massage : elle sent descendre en elle un courant de sensations vers le bas… alors que ses mouvements habituels tendent à tout accumuler dans le haut du corps. Des frissons toujours plus intenses s’amorcent, et la traversent de haut en bas. Quand ces frissons descendent dans les bras, une série de b.ii1ements se déclenchent, et i’ouvrent à une vagotonie plus stable. Anna Lisa peut enfin fermer les yeux pendant la séance, et se laisser ailer complètement à sentir le poids de son corps peser sur le petit lit. Les muscles de son visage se détendent. Elle reste allongée avec plaisir sans bouger pendant de longs moments. Elie sort de cet état en s’étirant comme quand on se réveille, et en me disant qu’elle ne s’était jamais sentie si bien. Elle à l’impression de devenir une autre Cette fois-ci elle s’est explorée d’elle-même, sans être blottie dans mes bras (et donc sans l’appui direct de l’adulte). Cette indépendance lui permet de vivre avec encore plus de force que d’habitude sa capacité de «rester»: une des expériences de base les plus importantes pour un développement harmonieux et équilibré du Soi.

La spontanéité réparatrice de l’enfant

Un enfant sain connait bien ces états d’esprit qui s’accompagnent d’un relâchement de la volonté et de la vigilance; et mènent à la détente, à la relaxation rnusculaire, à une immobilité qui reconstitue. Viens alors une sensation agréable Entre crochets nous indiquons la numérotation des séances liées aux matériel décrit de lourdeur, pendant laquelle on prend plaisir à se sentir devenir aussi lourd que possible sur son lit ou dans les bras de sa maman. Les enfants connaissent aussi ces moments bénéfiques et indispensables pendant lesquels on arrête de bouger, et on permet aux mouvements organiques de ralentir. L’organisme a besoin de tels moments pour retrouver spontanément ses forces, sa capacité de concentration, sa vigilance et sa mobilité… sans que la volonté doive à tout prix nous fouetter pour que nous arrivions à utiliser ces fonctions. Ne rien faire peut être une expérience très agréable lorsque l’immobilité n’est pas une paralysie mais l’expression d’un besoin. Progressivement l’allergie et le prurit d’Anna-Lisa diminuent. Elle devient capable d’affronter son père, et de prendre en charge le cours de ses émotions et de sa vie. La capacité de «rester », qu’elle a su se forger en thérapie, est devenue la pierre angulaire sur laquelle elle peut maintenant construire solidement ce qu’elle devient.

Les conditions nécessaires à la continuité du Soi

Un des principaux buts que l’on se fixe quand on entreprend une thérapie menée dans une perspective fonctionnelle est la continuité du Soi, la capacité de retrouver la joie de vivre, le bien être, et une approche positive de sa propre vie. Les trois conditions fondamentales pour arriver à cet objectif sont les suivantes:

  1. L’on considère que les diverses parties du Soi sont en contact lorsque toutes les sensations corporelles sont ressenties avec une coloration émotive appropriée, comme c’est le cas pendant l’enfance, avant que la vie modifie l’adéquation entre sensations corporelles et affects.
  2. Les parties du Soi qui permettent d’apprécier le bien-ètre et les plaisirs profonds sont mobilisables pendant les heures de thérapie. Nous recherchons notamment ces sensations de plaisir qui partent du ventre et se diffusent dans tout le corps en traversant la musculature. Cette partie de notre travail initie un processus de reconstruction de la sensation physiologique: prise de contact plus intense avec les sensations tactiles, régulation du tonus musculaire, obtention d’une qualité moelleuse de nos mouvements… et surtout une rééquilibration du système neurovégétatif par un approfondissement de la respiration diaphragmatique.
  3. Nous devons enfin secouer d’importantes fonctions du Soi comme la mémoire et la capacité d’imaginer des projets. Il s’agit là de trouver la force d’anticiper des événements futurs, de réfléchir dessus, et de modifier son comportement afin de nous rapprocher autant que possible des buts recherchés.

Si ces trois conditions ont été réalisées pendant la thérapie, nous pouvons être certains que le processus thérapeutique permettra à notre client d’acquérir une plus grande capacité de vivre avec joie par exemple un client qui ose enfin accepter qu’il a vécu de bons moments dans le passé, et qui prend le temps de revivre ces instants en ressentant les perceptions qui les caractérisent (affectives et physiques comme le plaisir d’un toucher, d’une odeur, etc.), et en ayant l’impression que son passé peut lui sourire. Le client peut alors laisser défiler dans sa vision intérieure des images de ce que son proche futur peut lui offrir de beau et d’agréable: des situations confortables, joyeuses, et possibles (pas forcément quelque chose de grand ou d’important… une petite chose suffit). Nous puisons nos exemples dans le monde de l’enfant, car ceux-ci nous permettent plus facilement de décrire les dimensions de l’ètre que nous essayons de saisir ici. Pensez par exemple à ces moments où un enfant, subitement, éclate de joie devant vous et se met à courir et à sauter dans tous les sens – radieux! Surpris, vous lui demandez ce qui lui arrive. Il vous répond qu’il se réjouit déjà de pouvoir dormir chez un ami dans quelques jours, d’une promenade prévue le lendemain, ou de manger la glace qu’il a entrevue dans le réfrigérateur, ou de pouvoir jouer avec ses parents tout à l’heure, ou de pouvoir dormir avec maman cette nuit parce que papa voyage, ou de pouvoir recevoir des cadeaux d’anniversaire dans 13 jours! Et vous voilà encore plus étonné, car pour vous un anniversaire symbolise une année de plus, le temps qui passe… bref toute une série d’associations déprimantes. Cette joyeuse insouciance est précisément ce qui différencie souvent l’enfant de l’adulte. Est-ce que cela veut forcément dire que l’adulte a perdu la capacité de se réjouir, et d’ètre content? Bien sùr que non! Les chagrins et les soucis d’un enfant sont aussi dramatiques que ceux d’un adulte… et parfois pour ce que nous traiterions parfois un peu trop rapidement de peccadilles. Mais l’enfant possède encore une bonne mobilité intérieure. Il est encore capable de brusques sautes d’humeur, de changements émotionnels rapides qui seuls permettent de surmonter des moments de découragement et de mauvaise humeur. Un adulte devenu morose a tout simplement besoin de retrouver une forme appropriée de mobilité intérieure. Ceci n’est possible qu’après avoir repris contact avec nos souvenirs de bonheur, de savourer à l’avance les inévitables plaisirs que nous ressert le futur. Il faut aussi pouvoir à nouveau avoir une capacité psychophysiologique (respiratoire, neurovégétative, etc.) d’éprouver et de vivre des plaisirs intenses, et de se détendre. Ce que nous appelons «consolidation du Soi» est produit avant tout par une reprise de contact avec toutes les bonnes choses que nous avons déjà emmagasinées. Nous pouvons par exemple réévaluer les aspects positifs et négatifs de nos expériences passées, et souvent découvrir que nous pouvons alors nous réaménager un espace intérieur bien plus confortable que nous le pensions. Nous pouvons aussi réévaluer nos projets, le souvenir de nos projets, et lentement laisser nos plus secrets espoirs pénétrer dans la chair de notre être et nous bercer. Finalement nous pouvons redevenir capable de revivre un moment heureux avec l’intensité qui l’accompagnait… même si à l’époque nous avions préféré le nier.

Conclusions

Les expériences fondamentales du Soi sont le matériel de base pour le développement d’une personnalité. Ce sont des expériences essentielles pour l’existence, que chaque individu a traversées pendant sa vie, surtout pendant la période de la première enfance… même si elles ont parfois été peu nombreuses. La plupart d’entre-nous ont été portés bébé, ont aimé, ont été nourris, ont parfois vécu une sensation de calme intérieur, de repos, et d’abandon. Le plaisir est aussi inévitable que le malheur. Il est donc possible de mobiliser chez la plupart de nos patients ces moments positifs, et de renforcer leur place dans leurs expériences conscientes. Dans les cas où de tels moments ont été franchement rares et pauvres, une thérapie ne peut devenir efficace que dans la mesure où .elle permet au patient de construire de tels moments dans le tissu lacéré de son Soi. Généralement, la mobilité du Soi peut se reconstruire et retrouver celle que l’on a inévitable connue. C’est ce que nous avons essayé de montrer dans cet article, en donnant quelques exemples cliniques.

La psychothérapie fonctionnelle

Discussion des modèles évoqués

Modifier ce qu’un patient a hérité de ses anciennes rencontres

L’idée qu’en thérapie il faille modifier activement les conditions existantes du patient suit son chemin dans la littérature, par le truchement de reformulations de la notion de directivité (plus au moins structurée). Joseph Weiss (1990) développe l’hypothèse dite «du contrôle », pour préciser es stratégies qui permettent d’aboutir à des interprétations qui peuvent produire in effet immédiatement bénéfique sur le patient. Théoriquement cette conception art de l’idée qu’une pathologie n’est pas liée à des pulsions qui cherchent à se satisfaire par des moyens inappropriés, mais plutòt à des mécanismes cognitifs lui produisent de la souffrance («croyances pathogéniques »). Ces croyances empêchent une personne de rechercher ce dont elle a besoin, en la persuadant que si elle satisfaisait spontanément son besoin elle se mettrait en danger. Pour Weiss, in des buts d’une intervention active est de mettre ces «croyances pathogéniques» en question, afin qu’elles cessent d’empècher les pulsions de rechercher à atteindre le but recherché. Mais ce n’est là qu’un aspect du processus vécu en psychothérapie, caractérisé par une tentative de reparcourir l’ancienne relation affective familiale afin de modifier l’influence de cette histoire sur le futur. On peut découvrir, par exemple, que le patient n’a jamais été encouragé à entreprendre un projet personnel et à réaliser ses propres idées, et vouloir modifier les croyances développées dans un tel contexte. Mais une telle intervention laisse un peu facilement de coté ‘ensemble des expériences négatives et frustrantes qui se sont alliées au complexe analysé. Or c’est l’ensemble des modalités impliquées par ce qui en jeu chez in patient qui devront se transformer, ainsi que l’ensemble des modèles familiaux absorbés. Pour atteindre ce but, le thérapeute va devoir assumer de jouer un certain nombre de fonctions qui permettent au patient de revivre ce qui lui a manqué dans son milieu d’origine, et de puiser dans ces expériences les ingrédients nécessaires à son développement futur. Ainsi le thérapeute doit oser être encourageant, protecteur, témoigner de la confiance, chaleureux, intime, familier, quand le patient n’a pas vécu de telles expériences.
Une telle conception du psychothérapeute n’est pas compatible avec les notions de frustration optimale, d’abstinence de toutes les gratifications possible ou de détachement émotif du thérapeute. Le danger est que sans un contexte théorique approprié, complètement repensé, les psychothérapeutes, et particulirrement les psychanalystes, risquent d’utiliser une modalité nutritive ou gratifiante, sans avoir à leur disposition des critères précis à visées psychothérapeut ques. C’est en constatant à quel point un patient a besoin de contacter concrètement ce qui lui a manqué, pour modifier ce qu’il a hérité de ses anciennes rencontre que je me suis remis à réfléchir sur ce qu’Alexander (1948, 1956) appelait un « expérience émotive corrective » (5). Il me semble qu’en enrichissant cette notion avec les connaissances que les thérapies psycho corporelles ont acquises sur déroulement du développement en psychothérapie, nous pourrions fournir une base utile à une réflexion sur notre manière d’intervenir.

L’impact des phénomènes corporels

Dans le domaine psycho-corporel, le praticien élabore souvent des concept nouveaux, fortement innovant mais ces concepts sont ensuite dilués dans le tâtonnements de la pratique, au lieu d’ètre mis en forme et élaborés de faon plus approfondie. C’est sans doute pour cela que la réflexion théorique et méthodologique faonnée pendant plus de cinquante ans dans le domaine psycho-corporel n’a pas vraiment eu d’impact, et tend à être méconnue. Lorsqu’on tient compte de l’impact des phénomènes corporels sur la dynamique relationnelle, on s’aperçoit rapidement à quel point les conceptions théoriques actuelles sur la relation ont besoin d’ètre profondément reformulées. Si un courant psychanalytique – hypothétique – avait tenu compte de la dimension «corporelle» dans son travail de réflexion théorique et méthodologique (en suivant les indications de quelques-uns de ses représentants), il n’aurait sans doute pas parcouru exactement le mémé chemin que celui de la psychothérapie corporelle; mais il aurait certainement rencontré les mêmes noeuds théoriques et épistémologiques, et aurait senti la même nécessité de restructurer profondément son cadre théorique. Cette psychanalyse aurait sans doute traversé, elle aussi, une longue période de tâtonnements, d’ajustements, de remises en cause de ses outils de base. Et elle aurait certainement engendré des modèles très différents de  ceux utilisés par les psychanalyses contemporaines sur des thèmes aussi importants que le cadre et les dispositifs de traitement (ce que le thérapeute fait ou ne fait pas avec le corps du patient et avec son propre corps).

Patrick Casement

 À ce propos les récentes formulations du psychanalyste Patrick Casement (1990) sur la thérapie entendue comme « deuxième occasion» par rapport à l’apport du développement de l’enfant, sont significatives. Casement fixe son attention sur les besoins restés insatisfaits, qui ne peuvent pas être frustrés lorsqu’ils apparaissent en thérapie sans que le développement souhaité soit interrompu. L’analyste prend alors sur lui d’aider le patient à gérer ces besoins, en lui faisant sentir une préoccupation du thérapeute pour certains aspects de la vie du patient qui dépasse le cadre thérapeutique. Le patient, à ces moments, a besoin de sentir une forme de confiance chez son analyste… ce qui est impossible si celui-ci demeure trop distant, trop attaché à une posture silencieuse. La thèse de Casement est que «certains besoins fondamentaux, insatisfaits, du patient peuvent recevoir de la gratification pendant l’analyse ou la psychothérapie », mais il désapprouve ensuite vivement «toutes les tentatives délibérées d’offrir une bonne expérience au patient » (Casement, 1990, page 102). Casement mentionne «l’expérience émotive corrective », mais refuse de réintroduire cette notion dans la pensée psychanalytique. Il nie que l’analyste puisse choisir délibérément un certain ròle de réparation, bien qu’au temps d’Alexander « il semblait déjà clair que les patients n’obtiennent pas de l’avantage seulement de l’intuition (insight), ni que la seule expérience du transfert ou de l’interprétation du transfert soient suffisantes pour apporter de durables changements » (page 102). Même s’il sait que l’analyste travaille fondamentalement avec l’enfant qui se trouve dans l’adulte, Casement parvient à nier l’utilité de contacter les besoins insatisfaits par le truchement de contacts physiques avec le patient, bien que, comme parfois on entend dire, un analyste trouve des justifications rationnelles afin de donner un soutien physique au patient » (page 108). Les objections qu’il soulève à ce propos sont aussi classiques que désuètes: le contact physique peut être vécu comme «sexuel »; ou bien il peut atténuer la Capacité de distinguer le symbolique du concret, ou favoriser des états qui font croire que tous les fantasmes peuvent être assouvis. Soixante ans de pratique en psychothérapie corporelle nous ont appris que le toucher en psychothérapie n’induit pas ces états, surtout si l’on travaille sur des bases théoriques bien claires. Casement montre bien que l’interprétation, la distance, le silence, la frustration des demandes ne suffisent souvent pas à permettre des changements et de résultats significatifs; et que par conséquent l’appareil théorique et opérationne de la psychanalyse est limité et insuffisant. Mais ses propos manquent de cohé rence dès qu’il s’agit d’explorer les conséquences d’une telle affirmation. Il est par exemple insensé de parler des «besoins insatisfaits» en termes aussi simplistes Car il faut bien que ceux-ci soient abordés par le thérapeute en tenant compte de objectifs fondamentaux de la thérapie, des expériences de base qui caractérisen ces besoins, et surtout des modifications que les insatisfactions ont opérées dam l’équilibre du Soi. Il importe aussi de comprendre comment divers état d’équilibre du Soi influencent la dynamique des besoins. Lorsqu’un enfant fait des caprices et refuse (apparemment) la consolation du géniteur, son besoin n’est pas d’etre abandonné, mais plutòt d’étre recueilli et gardé. Ce que le patient amènc n’est pas seulement un besoin insatisfait, mais aussi l’effet de la dynamique de ce besoin sur le Soi, et l’influence en retour que les modifications du Soi exercent sui cette dynamique. Vouloir modifier les modèles théoriques existants en se contentant d’introduire l’idée qu’en thérapie il faille assouvir les besoins insatisfaits du patient est donc insuffisant. Il nous faut encore produire un modèle des besoins fondamentaux du Soi, de l’état de ces besoins primaires dans la petite enfance, qui permette des interventions ciblés exclusivement sur la réparation des mécanismes liés à ces besoins… ce qui est très différent d’un discours visant la satisfaction de chaque demande ou chaque fantasme du patient. Ce modèle aurait la tàche d’aider le thérapeute (qui doit faciliter activement le venue de régressions très profondes), à assumer à l’égard du patient un ròle de «parent substitut », capable d’adopter un comportement adéquat, capable d’induire un relàchement des tensions qui entourent les besoins du début de la vie. Un tel travail n’a rien à voir avec « offrir des expériences positives au patient », critiqué par Casement. La proposition de Casement doit nécessairement passer par une vision différente de la régression et par une révision de comment l’on se représente les pulsions et la capacité du tout petit enfant à rechercher des gratifications. Il faudrait aussi pouvoir préciser des processus qui conduisent à une altération des besoins primaires et de toutes les fictions du Soi; et préciser comment et où les relations primaires sont refoulées. En somme nous cherchons un modèle qui nous permet de décrire ce qui doit être modifié en psychothérapie pour rétablir un mode de satisfaction des besoins qui ne retombe pas dans des mécanismes névrotiques qui soutiennent une avidité souvent sans fond et une répétition sans fin.

Alexander

L’intuition d’Alexander sur « l’expérience émotive corrective» est peut-être datée incomplète à beaucoup d’égards, mais elle cerne assez bien la problématique que nous venons d’évoquer, et est assez générale pour permettre la construction d’un nouveau modèle de la psychothérapie. En amont, il nous serait possible e développer ce modèle, afin que nous puissions préciser quels types de gratifications du patient peuvent être utiles, comment procéder, et les limites de ce type ‘intervention. Il n’est pas très intéressant de critiquer Alexander, comme Casement l’a fait, n nous fondant sur quelques-uns de ses textes relatifs aux techniques dont il se servait à cette époque. Celles-ci, bien sùr, datent. Plus sérieusement, Eagle (1991) ‘oppose à un changement de perspective qui attire l’attention du thérapeute vers s déficits primitifs du Soi, vers les dommages causés par un mauvais accueil des besoins fondamentaux, vers un renforcement de l’écoute par empathie, et vers un renforcement de la relation entre patient et thérapeute dans le présent. Mais du oint de vue de la cohérence théorique, les positions d’Eagle ne sont utilisables que dans une conception unidimensionnelle de la thérapie, où seule une modalité st prise en considération (la parole), et où la méthode demeure uniformément identique à elle-même dans le temps. Dès qu’une approche plus riche est envisagée, il devient possible et de travailler sur les déficits du Soi, et de prendre en considération la dimension du conflit, et de différencier besoins et désirs. Il faut pour cela adopter une stratégie qui aborde plusieurs canaux de communication, et voir à sa disposition un spectre de techniques variés. Les altérations du Soi produisent des distorsions de la capacité de jouir des expériences positives, et engendrent des conflits et des scissions parmi les différents plans fonctionnels. Les mêmes besoins, donc, s’altèrent, et modifient à leur tour le plan des désirs. C’est précisément sur ces articulations qu’un processus thérapeutique profond opère (et pas simplement sur l’offre d’expériences de compensation). Un tel processus passe par plusieurs phases. Par exemple une phase e régression vers des modalités de fonctionnement archaïque débouche sur des interventions qui vise à une transformation des mécanismes ainsi mis à jour, à ne «reconstruction» des expériences fondamentales du Soi; ensuite à une reconstruction avec le thérapeute de l’histoire du développement personnel du patient ; et finalement à un travail sur l’autonomie et la force que procure une relation actuelle et réelle. Une telle conception de la thérapie et du Soi ne se base pas, contrairement à qu’Eagle semble penser, sur une idée de structures défectueuses ; il y a ici plut la notion d’une réaction en chaîne qui mobiliserait un grand nombre de fonctions. Cette réaction provoque un déséquilibre de l’organisation d’un individu à différents niveaux: on peut constater un renforcement ou un affaiblissement de besoins, désirs, fantasmes, et perceptions; des relations archaiques peuvent resurgir et exprimer les carences profondes du Soi. Nous partons de la notion que l’organisme est une unité psychosomatique mitialement intégrée. Cette unité peut se briser, se scinder en emprisonnant des situations émotionnelles (verbales ou non verbales) dans une partie du corps. Ces émotions sont «retenues» au niveau neurophysiologique par des «tensions musculaires» qui empèchent tout contact avec la conscience et les mécanismes de symbolisation qui permettraient leur expression (Rispoli, 1985, page 97). Notre but est de recréer un contact entre ces vieilles émotions et la conscience, afin qu’elles puissent se symboliser, et ètre intégrées. Pour construire ce contact nous partons d’un mouvement intérieur, organique, lié aux émotions refoulées, qui peut ètre reconnu, vu et donc accepté lorsqu’il émerge. Ensuite, il peut ètre recodifié en termes de signes et de sens.
Contrairement à ce qui est soutenu par quelques positions excessivement conservatrices et réductrices, notre modèle montre l’utilité d’interventions manuelles sur le corps, ou d’interventions proposant diverses formes de mouvements. Il suggère aussi qu’il doit ètre difficile, sinon impossible, d’intégrer les émotions refoulées par la musculature dans le cadre d’une thérapie purement verbale. Le travail corporel permet de déclencher une «régression fonctionnelle psychosomatique », qui mobilise les niveaux profonds du Soi, et facilite la monté et la reconnaissance de ces mouvements/émotions, des plus archaques aux plus récents. Le thérapeute facilite la venue de ces régressions en «décongelant» la mobilité, en mobilisant la musculature squelettique et volontaire, ou en intervenant plus profondément sur les muscles lisses involontaires, contròlés par le système neurovégétatif. Ces stimulations réactivent des modalités perceptives parfois oubliées, ou fortement limitées; et mobilisent conjointement l’ensemble des systèmes physiologiques (avec lesquels, par commodité seulement, nous pouvons décomposer l’organisme), liés à la thermorégulation, la respiration, la circulation, etc.  Le mouvement/pulsation qui émerge alors permet à l’organisme de «ressentir» plus que d’évoquer mentalement. Ce « repercevoir » se réveille dans la mémoire corporelle de faon continue, plutòt qu’avec des sauts soudains dans le passé ou des mouvements en flash-back cinématographiques inattendus. La mémoire perceptive (liées aux seuils de la perception) et la mémoire motrice (liées aux sensations musculaires, à la position d’une partie du corps par rapport à une au conscient de contacter les émotions profondes liées au mouvement/pulsation. Ce qui se modifie, pendant la régression psychosomatique, est l’ensemble des caractéristiques sensori-motrices et imaginatives qui caractérise un état actuel… souvent lié à une relation transférentielle, pendant la psychothérapie, et encore plus précisément à l’organisation fonctionnelle du Soi. Dans la stratification des émotions, les événements du passé sont reconnaissables dans l’instantanéité du présent. Ils «sont» le présent. Ce qui importe est, bien sùr, l’ensembie des événements de relation de la personne, mais au sens des modifications et des caractéristiques qui se sont accumulées dans la structure actuelle. Lorsque nous parlons de régression, nous ne nous référons pas à un événement qui peut étre objectivement situé dans le temps, mais plutòt à une régression vers la « profondeur ». Et cette profondeur est plutòt fonctionnelle que topique. Il s’agit d’accéder à une unité biopsychique qui aurait existé à la naissance, et qui se situerait sous les scissions construites par la suite. Ce palier d’unité ente psyché et soma est la base des fonctions du Soi. Il se situe au-dessous des scissions. Contacter cette profondeur chez un adulte n’est pas la mème chose qu’une tentative d’atteindre des schèmes archaques dans leur « état initial »… tels qu’ils étaient avant que le contact soit perdu. Notre profondeur n’attend pas la permission du conscient pour se transformer, et se développer. C’est donc bien une profondeur adulte qui est contactée.  Mais, en revenant aux premiers fonctionnements intégrés, qui sont à la base de ceux que la régression psychosomatique fonctionnelle rend accessibles, nous pouvons percevoir comment l’enfant a pu donner un sens à ses interactions avec son entourage. Une telle reconstruction est possible si l’on approche le corps au sens large, comme un système ouvert, qui ne se réduit pas à une série de positions et des mouvements, mais qui est aussi formé d’émotions/affects, de cognitions/symboles, des mécanismes neurovégétatifs, et de l’ensembie des systèmes physiologiques.

« Le sens nait en l’enfant de la capacité de « se lire », se sentir et se penser, comme le milieu le perçoit. Ce « se lire » dont je parle ne passe pas seulement par l’ouie et la vue, mais aussi par le truchement de mouvements corporels partant de l’intérieur vers l’extérieur. La perception de ces mouvements s’associe aux perceptions visuelles et auditives » (Rispoli 1986, page 370). Pour appréhender ces phénomènes, il nous faut abandonner les schémas des chaines linéaires de cause à effet, et éviter d’aborder le milieu comme un miroir objectif – à une dimension – de la croissance de l’enfant ; mais comme un miroir qui renvoie à l’enfant une image socialisée de son développement, capable d’influencer l’enfant et de modifier son
comportement. Nous abordons le milieu comme une structure hologrammatique, et comme un système global qui se compose notamment des comportements et des attitudes de l’enfant. Voici quelques exemples de ces images pluridimensionnelles perçues par l’enfant: « un sourire ventre plein de lait », pendant la tétée; ou bien un «froid- frison visage indifférent» si la mère est trop loin; ou encore un «dos arqué peur de tomber dans le vide» quand le nouveau – né sent qu’il est mal tenu dans les bras; ou une «chaleur bras toucher d’une main visage voisin» quand il se sent au contraire bien tenu, sa joue touchant la joue de sa mère (ibid.). L’ensemble de ces observations que nous avons récolté en nous familiarisant avec «la régression fonctionnelle psychosomatique» nous pousse vers des modèles cliniques pluridimensionnels, capables de rendre compte de la coexistence de plusieurs niveaux d’événements à un moment donné. Ceci non seulement dans un processus thérapeutique, mais surtout dans la sphère du développement évolutif. On entrevoit déjà ici que pour le modèle clinique que nous sommes en train de construire, il est important d’observer et d’intervenir thérapeutiquement à divers niveaux. Pas seulement aux niveaux psychiques et somatiques, trop vaguement définis pour l’instant. Nous agissons surtout sur toute une série de niveaux intermédiaires comme les processus psycho-corporels et les fonctions du Soi, liés aux mécanismes mis en route à la naissance de l’enfant, lors de son développement, pendant la formation de sa personnalité et l’établissement de diverses modalités communicatives. Et c’est sur la reconstruction de la mobilité de toutes les fonctions du Soi dans une relation thérapeutique de «reparentage» que devrait se baser toute bonne psychothérapie.

note

  1. Tous ceux qui souffrent d’asthme, les enfants aussi, ont une respiration qui peut ètre définie comme «du haut du thorax ». Cette respiration mobilise surtout la partie supérieur des poumons. Mes tentatives de modifier son schéma respiratoire menait, pendant une courte période, à une apparition de symptômes asthmatiques. C’est ainsi que l’on peut mobiliser un symptôme sur le plan fonctionnel, et le mettre suffisamment en évidence pour que le sujet puisse le contacter consciemment, l’assimiler avec ses fonctions sémiotiques, et le faire participer à la dynamique du Soi mis en branle par le processus psychothérapeutique. La disparition définitive du symptôme n’est pas absolument nécessaire au processus, mais il importe de pouvoir obtenir un soulagement pendant la séance. Cela nous permet de vérifier que nous sommes sur le bon chemin, que nous sommes en train de toucher des mécanismes liés au symptôme… non seulement sur le plan émotionnel, mais aussi au niveau des mécanismes biologiques sous-jacents. Nous espérons ainsi avoir une action qui s’étend du « macro » (accessible de lextérieur par le mot, le massage, le mouvement, etc.), au « micro » (les mécanismes de régulation psychophysiologiques qui influencent le système immunitaire et neurœndocrinien, ainsi qui ceux qui régulent la libération des histamines et des autres substances qui produisent le prurit dans l’allergie).
  2. On a pu établir que l’allaitement au sein jouait un ròle important pour prévenir les allergies. Par contre on comprend encore mal comment les niveaux biologiques et affectifs interagissent dans ces cas.
  3. Entre crochets nous indiquons la numérotation des séances liées aux matériel décrit.
  4. Ceux qui ne travaillent que sur le champ verbal peuvent difficilement s’imaginer à quel point une situation de régression obtenu par une intervention psycho-corporelle peut être profonde. Profonde au point de retrouver effectivement les besoins primaires. Même si les traces des premières distorsions sont localisées dès le début, la régression facilite considérablement le contact avec les bases originaires des besoins et avec les blessures initiales que les grandes frustrations causent parfois.